Pour faire une histoire courte, le mois dernier à pareille date, j’arrivais en Colombie-Britannique, après un périple inoubliable de cinq jours sur la route à travers les États-Unis. Michigan, Indiana, Illinois, Wisconsin, Minnesota, North Dakota, Montana, Idaho, Washington. 5 000 kilomètres. Toute seule. Comme une grande.
Sur le traversier me menant de Tsawwassen à Nanaimo, j’ai fait la rencontre d’un jeune homme charmant, un de ces esprits libres que certains appellent « bohèmes ». Moi, je l’appellerai simplement Michael.
Né à Duncan, sur l’Île de Vancouver, il étudie maintenant à Montréal et y vit le plus clair de son temps. Il revient dans l’Ouest aussitôt son dernier examen d’université terminé pour voir sa famille et travailler dans le commerce de la crevette durant l’été. « Cette job-là, ça me permet de vivre toute l’année et de payer mes études. De toute façon, j’ai besoin de presque rien pour vivre. » Bravo, Michael. Je t’envie. Moi, j’ai besoin d’un million de trucs inutiles pour vivre.
Quand je lui ai expliqué que j’avais renoncé à une grosse job payante pour déménager sur la Côte Ouest, il s’est empressé de me dire : « Wow, t’es bonne d’avoir été capable de dire non. Un coup que tu commences dans une grosse boîte, avec un gros salaire, t’es pris dans le système et t’en sors plus. » Et il a atrocement raison.
Bifurquant d’un sujet à l’autre, Michael a soudain eu envie de savoir pourquoi je me considère comme une « matante ». Bon, par où commencer? « Quand tu parles que tu trippes avec tes amis, que tu expérimentes, je me sens vieille, parce que moi, vois-tu, j’ai envie de m’établir, de fonder une famille. » Et par la bande, je l’ai fort habilement traité d’adolescent attardé, insultant aussi au passage tous les hommes de trente ans qui n’en finissent jamais d’expérimenter. J’étais bien sûre de moi. C’était il y a un mois.
J’ignore pourquoi, mais la vie a cette drôle de manie de nous donner ce dont nous avons besoin, au détriment de ce que nous voulons. Ce que je souhaitais, ce que je désirais par-dessus tout, au point de tout plaquer pour venir m’établir ici, a échoué. Royalement, magistralement échoué. Il n’y pas de quoi pleurnicher sur mon sort, mais ce qui me triture l’esprit depuis plus longtemps que je n’oserais l’avouer est d’une intensité hallucinante. Bonjour les remises en question…
Michael, sache que tu as peut-être raison, après tout. Et si le but d’être ici, les deux pieds sur Terre, était d’expérimenter sans n’attendre rien de précis de l’existence? À quoi nous sert de tout planifier, tout régler au quart de tour, si c’est pour vivre cent ans dans la même cage dorée qui nous protège sagement du reste du monde?
Je suis heureuse d’avoir quitté le Québec. Ça sent encore la grande aventure à plein nez. La seule erreur au tableau de mon périple? Celle d’avoir voulu ne pas faire d’erreurs. Tu as raison, Michael. Je dois réapprendre à expérimenter. Peu importe ce qu’il en coûtera.