Connaissez-vous le mont Logan, situé dans le parc national Kluane au Yukon? N’étant rien de moins que notre Everest canadien et le second plus haut sommet d’Amérique du Nord, après le mont Denali (McKinley) en Alaska, Logan culmine à 5 959 mètres d’altitude et constitue l’un des endroits les plus hostiles sur la planète. Avec ses températures polaires de −45 °C et ses rafales de plus de 200 km/h, le mont Logan est un enfer blanc aussi méconnu que redouté.
80 alpinistes en moyenne (et souvent beaucoup moins) se risquent chaque année jusqu’au sommet, contre 1 200 sur Denali et 600 sur Everest. Les morts survenues sur Logan conservent à ce jour leur part de mystère et il est difficile d’en faire le compte exact. L’on a tout de même recensé 11 décès entre 1978 et 2005, parmi lesquels :
- Jessie Aulik, 24 ans, originaire de Calgary. Emportée par une avalanche le 31 mai 2005 alors qu’elle escaladait la face Est de Logan, à 2 900 mètres.
- Stephen Canning, 22 ans, d’Invermere en Colombie-Britannique. A effectué une chute mortelle en mai 2004 alors qu’il s’approchait du sommet.
- Dave Cheesmond (Calgary) et Catherine Freer (Boulder, Colorado). Décédés en 1987 sur le versant Sud après qu’une corniche ait cédé sous leurs pieds. (La route qu’ils ont empruntée, Hummingbird Ridge, n’a été grimpée avec succès qu’une seule fois, en 1965. Cette ascension est considérée comme l’une des plus audacieuses de toute l’histoire de l’alpinisme nord-américain.)
Comme une odeur de mort : l’histoire d’Erik Bjarnason
Sur le mont Logan, certains voient aussi la mort de très, très près. J’ai rencontré l’un de ces survivants de l’extrême, le Britanno-Colombien Erik Bjarnason, alors qu’il faisait la promotion de son livre Surviving Logan à Victoria, sur l’Île de Vancouver. Amputé des 10 doigts après avoir survécu, sans ses gants (emportés par les vents violents, ainsi que leur tente et pratiquement tout leur équipement), à un cyclone extratropical d’une fureur inouïe qui dura plusieurs jours, il nous raconta avec beaucoup de sérieux mais aussi beaucoup d’humour les événements de mai 2005 sur la montagne sauvage.
Pompier de profession, Bjarnason est également membre du North Shore Rescue, qui vient en aide chaque année à des centaines de personnes égarées ou blessées sur les montagnes de North Vancouver, en Colombie-Britannique. Lui et son équipe sont donc, pour la plupart, des alpinistes aguerris passionnés d’altitude et quoi de mieux, pour célébrer le 40e anniversaire de l’organisation, que de lancer une expédition sur le mont Logan? Sept hommes et une femme, tous membres du North Shore Rescue, partent donc à l’assaut du plus haut sommet au Canada, confiants mais prudents.
Leur progression sur la montagne se fait relativement en douceur, les températures clémentes étant de précieuses alliées. Puis, à 5 500 mètres, à quelques 500 mètres du sommet, alors que Bjarnason se trouve au camp IV (Prospector Col) avec deux de ses coéquipiers, la météo se dégrade rapidement et les trois hommes doivent trouver refuge dans leur tente, où ils se font secouer par des rafales de plus de 100 km/h. Comme en haute altitude, les mauvaises nouvelles peuvent se succéder en cascade, leur tente commence à se désintégrer après vingt heures, pour finalement s’envoler en entier, les laissant avec, pour leur seule survie, deux sacs de couchage, un matelas de sol, un pic à glace et un couvercle de chaudron.
Les deux coéquipiers de Bjarnason, Don Jardine and Alex Snigurowicz, s’empressent d’aller creuser un abri d’urgence dans la neige, laissant Erik derrière, trop vulnérable et d’aucune aide sans ses gants, qui se sont envolés avec le reste de leur équipement. Les températures avoisinnent maintenant les −90 °C avec le facteur vent et les doigts de Bjarnason ne tardent pas à geler complètement, agrippés à un rocher.
Ses camarades reviennent le chercher et ils s’empilent littéralement dans un minuscule espace protégé du vent. Leur calvaire, ainsi exposés au froid mortel, privés d’eau et de nourriture, durera trois jours. Trois jours où ils crurent mourir à plusieurs reprises et où ils firent leurs adieux à leurs proches par radio.
Mais pendant que leurs chances de survie s’amenuisaient, le North Shore Rescue, la Garde nationale aérienne d’Alaska, Parcs Canada et le Parc national Denali mirent leurs efforts en commun pour rescaper les alpinistes mal en point à l’aide d’un hélicoptère Lama destiné aux vols à très haute altitude.
Au terme de cette mésaventure qui aurait pu facilement lui coûter la vie, Bjarnason a dû se faire amputer les doigts, mais sa détermination à recouvrer ses fonctions de pompier et de secouriste était increvable. Après plusieurs mois de réhabilitation, il reprit non seulement du service comme il l’espérait, mais il escalada le plus haut sommet d’Europe, le mont Elbrus, en 2006, et s’aventura ensuite sur le mont Everest en 2009.
Histoire courageuse que celle d’Erik Bjarnason? Ou délire des grandeurs menant à l’autodestruction? À vous de juger. Une chose demeure certaine, cependant : ni les années d’expérience, ni les plus grandes précautions ne font reculer la mort d’un pas en ces terrains d’une hostilité farouche. Soyez donc toujours prêts à y laisser, au minimum, quelques morceaux.

Erik Bjarnason (droite) lors de son arrivée à l’hôpital après son miraculeux sauvetage.
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« Vous voyez ce que j’ai en moins mais, moi, je sens ce que j’ai en plus. Et c’est incomparablement plus grand que ce que j’ai en moins. » L’alpiniste français Maurice Herzog, qui paya son ascension de l’Annapurna en 1950 par une amputation des doigts et des orteils.