Le trou de la serrure

Je suis troublée. Confuse. Une jeune femme, ce matin, a découvert sur Facebook que son père s’est suicidé. Et elle a répandu la nouvelle sur Twitter. (Chère âme, sache que je ne te juge pas.) C’est infiniment triste. Mais voilà. Je me demande (et bien que connaissant déjà la réponse) si les réseaux sociaux n’occupent pas une place disproportionnée dans nos vies. Je me demande ce qu’est devenue la notion d’intimité, de jardin secret, de vie privée.

Ne nous suffit-il plus de vivre les événements qui bousculent notre existence? N’est-ce plus assez de les ressentir, de se replier sur eux le temps d’une réflexion, de quelques larmes ou d’un chagrin immense? Sommes-nous si seuls, chacun à l’abri dans notre bulle virtuelle, que nous recherchons à la moindre occasion du capital de sympathie? Ou a-t-on intériorisé le réflexe moderne d’étendre nos tripes sur le Web pour préférer la représentation de nos émotions au véritable ressenti, sorte de fuite on ne peut plus acceptée socialement? Plus tu souffres, plus je Like. Plus tes statuts ou tes tweets sont personnels, plus ma curiosité se délecte.

140 maigres caractères pour offrir un peu de chaleur humaine, alors qu’il nous faut une épaule sur laquelle reposer notre tête et des bras pour nous bercer, ça ne laisse qu’un trou, un manque encore plus grand. L’idée qu’il y ait toujours quelqu’un qui épie par le trou de la serrure ne devrait jamais être interprétée comme une compassion à portée de main, mais plutôt pour ce qu’elle est : la manifestation banalisée de notre curiosité froide et stérile.

Le vulgaire imbécile est toujours avide de grands événements, quels qu’ils puissent être, sans prévoir s’ils lui seront utiles ou préjudiciables : il n’est ému que par sa propre curiosité. – L’Arioste

9 réflexions sur “Le trou de la serrure

  1. Il me semble que ce n’est pas une question de « like », mais un mode de communication qui devient réflexe, et, par son instantanéité, balaye le temps de la réflexion (et je ne parle même pas du temps du chagrin). Publié, lu, oublié… Et oui, c’est d’une tristesse absolue. Gageons qu’en dehors des réseaux sociaux, cette jeune femme trouvera le temps qui convient au sentiments intimes, aussi pénibles, aussi traumatisants, puissent-ils être dans la situation que tu décris.

  2. Je suis franchement choquée. Pourquoi a-t-elle besoin d’annoncer la nouvelle sur Twitter et Facebook, alors que d’autres y mettent en statut qu’ils viennent de « se brosser les dents » ? Si les réseaux sociaux prennent trop de place dans la vie de certains, là c’est carrément du pur délire.

    • J’essaie vraiment de ne pas juger, mais oui, certaines personnes ont des manières parfois douteuses d’attirer l’attention sur elles. Se dire que les personnes les plus difficiles à aimer sont celles qui ont le plus besoin d’amour…?

  3. C’est exactement pour cette raison que j’ai quitté Twitter, ne plus lire les 140 caractères incessants (certains tweetent toute la journée !) et impudiques de personnes qui semblent aller bien mal (ou font semblant pour attirer l’attention ? Vraie question). Plus on est devant son écran, plus on est seul, c’est évident. C’est un constat bien triste. La vraie force ne serait-elle pas d’apprendre à être seul, avec soi ?

    • Je le crois! Et se tourner vers son cercle intime pour partager ce qui a un véritable impact dans sa vie. Par simple respect de soi. Les réseaux sociaux sont là pour diffuser de l’information. Pas pour devenir la vedette pathétique de son propre feuilleton virtuel.

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