La flagrante démission des adultes
Parfois, je me demande dans quelle belle société d’hypocrites nous vivons pour qu’une écrasante majorité d’adultes ferme les yeux devant le grave problème d’intimidation et de cyberintimidation qui sévit dans les écoles et au-delà. Bien sûr, tous en parlent, tant les parents que les intervenants, mais peu s’en soucient assez pour s’attribuer une responsabilité dans ce grand dérapage collectif.
Pour une raison que j’ai du mal à m’expliquer, le pouvoir est clairement passé dans les mains des jeunes, qui exercent un contrôle dévastateur et s’en prennent à leurs pairs, à leurs professeurs ou aux conducteurs d’autobus scolaires sans craindre la moindre conséquence punitive. Dans le documentaire Bully (Lee Hirsch, 2011), la mère d’Alex Libby, adolescent torturé jour après jour par les jeunes de son école de Sioux City en Iowa, déclare quelque chose de majeur à l’assistante-directrice de l’institution que fréquente son fils :
À mon époque, si le conducteur de l’autobus était témoin d’intimidation, il se rangeait sur le côté de la route et tous avaient affaire à se tenir tranquille.
Que s’est-il donc produit pour qu’aujourd’hui, nous préférions assister en silence à des cas évidents de brutalité et de harcèlement physique et psychologique impliquant des enfants de notre communauté? Pourquoi avons-nous démissionné de nos responsabilités en tant que pourvoyeurs d’un cadre protecteur et disciplinaire?
Des claques qui se perdent
Je n’encourage pas que l’on exerce une autorité absolue sur la jeunesse. Je prône, bien au contraire, des relations égalitaires et respectueuses. Mais tout comme nous sévissons auprès des criminels dangereux et des meurtriers qui abusent de leur pouvoir individuel au détriment d’autrui, nous devons sanctionner et punir les actes de violence physique et psychologique perpétrés dans les établissements scolaires. Forcer un intimidateur et sa victime à se serrer la main pour rétablir un semblant de paix, tel que le pratique Kim Lockwood, l’assistante à la direction de l’école que fréquente Alex Libby, est d’un ridicule déconcertant. Se contenter d’adopter une attitude passive et détachée place la victime au même niveau que son bourreau et commet des dommages irréparables. Car en plus de se méfier de ses pairs, la victime enregistre le message qu’elle ne peut compter sur le support des intervenants soi-disant mis à sa disposition. Une mascarade pure et simple!
D’enfant-roi à intimidateur
André Bercoff, journaliste et écrivain franco-libanais, s’en prend tout autant aux parents qu’aux pouvoirs publics dans son opposition virulente au culte de l’enfant-roi.
Privilégier l’enfant-roi qui peut faire tout ce qu’il veut sans que les parents ne puissent réagir, ces admirables produits naturels du docteur Spock et de la démission institutionnalisée des adultes, revient à accepter d’emblée les caprices d’aujourd’hui et les violences de demain. Le problème n’est pas dans le «surveiller et punir», mais dans le «poser en s’opposant». Si, dès le berceau, le jeu se passe sans aucune règle, l’enfant sera fragilisé et vulnérable à tous les chocs de l’existence, considérera que tout lui est dû et que le monde n’est là que pour satisfaire ses caprices. (…) Cette éducation-là fabrique à la chaîne des lendemains qui déchantent et qui cognent.
Des lendemains qui déchantent et qui cognent. Rappelez-vous ces mots lorsque vous entendrez parler du suicide d’un autre adolescent qui n’en pouvait plus de subir l’intimidation et le harcèlement de ses pairs. Rappelez-vous ces mots lorsque vous verrez défiler sur votre téléviseur les images d’un Xe carnage dans une école perpétré par un élève exclu du groupe social et ridiculisé. Rappelez-vous ces mots et faites l’effort d’essuyer la merde dans vos yeux, car les jeux vidéo, les films violents et les groupes de musique rock que l’on se plaît à blâmer n’y sont pour pas grand chose, dans notre société déresponsabilisée où l’on préfère laisser l’enfant-roi dicter sa propre loi.
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Le documentaire Bully est présentement disponible sur Netflix.
Je vous conseille également l’excellente fiction A girl like her (aussi disponible sur Netflix), qui brosse un portrait juste et sensible de la dure réalité à laquelle doivent faire face quotidiennement les jeunes victimes d’intimidation et de cyberintimidation. Pour un aperçu du film, visionnez la bande-annonce en cliquant ici.