Au Québec, on voit petit. On pense petit.
On dira ce qu’on voudra, le « Think big » d’Elvis Gratton demeure, 21 ans après la seconde défaite référendaire de 1995, l’expression d’un déni de la réalité, visiblement empreinte de tristesse et d’amertume. Car le petit Québécois moyen ne pense pas big; il est toujours autant replié sur lui-même et sur sa patrie.
Lorsque je lis un billet tel que celui-ci, oui, je le trouve bien triste, le petit Québec de ma jeunesse. Lorsqu’on tourne systématiquement le dos à des personnalités publiques sous prétexte qu’elles trahissent leurs origines en réussissant à l’étranger, je constate que les mentalités n’ont pas du tout progressé. C’est l’épisode de Rock Voisine qui célébrait son succès en France à la fin des années 1980. C’est la controverse de l’ADISQ en 1990, où Céline Dion était nommée « Artiste anglophone de l’année ». All over again. Simplement, cette fois-ci, c’est d’Eugenie Bouchard dont on fait le procès.
Bouchard, depuis son ascension dans les classements de la WTA il y a deux ans, est de plus en plus une vedette du tennis mondial et de moins en moins une ambassadrice pour Montréal et le Québec.
L’association Eugenie Bouchard / Montréal est de moins en moins évidente (…).
Avec un domicile en Floride et un pied-à-terre à Westmount, le moins québécois des quartiers montréalais, c’est à se demander si Eugenie Bouchard a un sentiment d’appartenance envers la belle province à l’exception de quelques souvenirs familiaux.
Et si Eugenie était avant tout une citoyenne de la Terre, cela ferait-il d’elle une personne condescendante, indigne et méprisable?
Sachez-le : le petit Québécois moyen, il faut le prendre par la main, le regarder dans les yeux et lui dire « Je ne t’abandonnerai pas », pour qu’il cesse enfin d’exprimer ses insécurités sur la place publique et dans les soupers de Noël. Car il a peur de ne pas être reconnu. Il en est terrorisé! L’indifférence des siens qui osent quitter la terre originelle « comme on sort d’un piège » (Anne Hébert) le confrontent à sa passivité et sa non-existence. « Ne m’abandonne pas! » Le petit Québécois moyen est un enfant hypersensible en prise à des angoisses de séparation constantes. « Ne me laisse pas seul avec mon mal de vivre! »
Cette demande à peine subtile de prise en charge émotionnelle est d’une lourdeur irritante. J’ai eu droit aussi à ma part d’allusions blessantes pour avoir établi domicile à l’autre bout du pays, dans le méchant Canada anglais. L’on a questionné mon « sentiment d’appartenance » à ma province natale, puis à ma famille; l’on a insisté cent fois, mille fois pour que je revienne m’établir au Québec; l’on m’a fait sentir ridicule d’aspirer à autre chose, en d’autres lieux. Bref, on m’a condamnée pour avoir eu l’audace d’ouvrir mon esprit à d’autres possibilités.
Et si j’étais avant tout une citoyenne de la Terre, cela ferait-il de moi une personne condescendante, indigne et méprisable?
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« On va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part. » Pierre Falardeau