Bien des gens en ce monde ont accompli des choses jugées exceptionnelles. Extraordinaires. L’on se demande même parfois si le fait d’avoir survécu à leurs exploits répétés ne tiendrait pas plutôt de la chance, tant ils aiment marcher au bord du gouffre.
C’est le cas de la norvégienne Cecilie Skog, alpiniste et aventurière aguerrie.
Tragédie sur K2
En visionnant le documentaire The Summit, qui traite de la tragédie controversée du 1er août 2008 survenue sur K2, le 2e plus haut sommet au monde avec ses 8 611 mètres, mon attention se porta sur une femme à la chevelure fauve et au regard empreint d’une détermination féroce. Encore visiblement bouleversée et sous le coup de l’émotion, elle y raconte la suite d’événements qui menèrent au décès de son mari, Rolf Bae, emporté par une avalanche de glace en provenance du sérac lors de leur descente vers le camp IV (situé à 7 681 mètres). Cette veuve éplorée, elle-même fervente de montagnes, d’altitude et d’aventures téméraires était nulle autre que Cecilie Skog.
La passion de l’extrême
Pour Cecilie, tout a commencé dans l’Ouest de la Norvège, à Ålesund, où elle a grandi entre mer et montagnes. Celle qui bénéficie d’une formation d’infirmière se découvre très tôt une passion pour les randonnées, été comme hiver, et les sommets grimpent peu à peu en altitude. À 20 ans, elle s’inscrit à un cours d’escalade sur rocher et fait ses premières armes sur le Kolsås et le Vardåsen (Oslo), où elle gagne vite en confiance. S’ensuivent des voyages de ski à Chamonix, sur le mont Blanc, le plus haut sommet de la chaîne des Alpes avec ses 4 808 mètres. Cecilie est étonnée de sa facilité d’acclimatation aux hauteurs et à la faible densité de l’air. Son engouement pour les montagnes ne fait que croître et elle revoit ses ambitions sans cesse à la hausse.
C’est alors qu’elle entend parler de l’Himalaya, avec ses glaciers millénaires et ses sommets si hauts qu’ils semblent inatteignables, et que naissent ses rêves du mont Everest. En 2004, elle pose enfin le pied sur le plus haut sommet du monde, à 8 850 mètres d’altitude.
Rolf, partenaire d’aventures et âme soeur
Cecilie fait la rencontre de Rolf en 2003, sur le plus haut sommet d’Europe, le mont Elbrouz, situé dans le nord du Caucase en Russie. Ils tombent vite amoureux et deviennent inséparables, partageant une passion commune pour le ski, l’escalade et les montagnes. En 2005, ils s’aventurent une première fois sur K2, question d’apprivoiser la bête et de gagner en expérience. Ils n’atteignent pas le sommet, s’arrêtant légèrement au-dessus du camp III, mais projettent de revenir y tenter leur chance dans quelques années.
En 2006, Cecilie et Rolf, accompagnés de leur ami Per Henry Borch, se rendent à l’extrémité nord du Canada, sur l’île Ward Hunt, avec l’intention d’atteindre le Pôle Nord en un temps record. 48 jours, 22 heures et 1 000 km plus tard, le trio peut enfin crier mission accomplie. Pour Cecilie, cette aventure se solde par un record Guinness, celui de l’ascension non assistée la plus rapide du Pôle Nord jamais réalisée par une femme. Son exploit demeure inégalé à ce jour. (Cecilie compte également parmi les rares femmes ayant grimpé les sept sommets (Seven Summits), soit la plus haute montagne de chaque continent, du mont Kosciuszko en Australie au mont Denali en Alaska.)
Cecilie et Rolf se marient en 2007, désireux de fonder une famille, mais encore trop avides d’explorations vertigineuses pour le moment. En 2008, ils retournent au Pakistan avec deux amis norvégiens dans le but d’effectuer une seconde tentative sur K2. Cette fois-ci, ils ont vraiment le sommet en tête. Le 1er août, la température est idéale et après plusieurs semaines sur la « montagne sauvage », ils tentent enfin l’ascension ultime, comme la plupart des alpinistes alors présents sur K2. Mais le jour J, le ciel dégagé et les chauds rayons du soleil n’allaient pas empêcher l’irréparable de se produire.
En raison d’un manque de communication flagrant entre les groupes d’expédition et du manque d’expérience de certains, les alpinistes se mirent en marche beaucoup trop tard, certains atteignant le sommet vers 20 h, alors qu’il est extrêmement périlleux d’y mettre le pied après 17 h. Ils durent donc redescendre vers le camp IV dans une noirceur complète, guidés de leurs seules lampes frontales. Quant à Cecilie, elle atteignit le sommet vers 17 h 20, accompagnée de son compatriote Lars Nessa. Pendant ce temps, Rolf, qui avait sagement décidé d’arrêter son ascension à quelques 100 mètres du sommet, en proie à une grande fatigue, attendait le retour de Cecilie et de Lars avant d’entreprendre sa descente vers le camp IV. C’est alors qu’ils cheminaient tous trois sur la traverse menant au Bottleneck, aidés de cordes fixes et avec Rolf en tête, qu’un large morceau de glace se détacha du sérac, entraînant Rolf vers une chute mortelle et rompant les cordes les attachant à la montagne.
Rolf n’avait que 33 ans. Mais il ne fut pas le seul à perdre la vie sur K2 durant ce qui devint l’une des pires tragédies de l’histoire de l’alpinisme. 10 autres personnes périrent sur la « montagne sauvage » la nuit du 1er août et le matin suivant. Complètement sous le choc, Cecilie et Lars arrivent tout de même sains et saufs au camp IV durant la nuit. Au dénouement de cette terrible mésaventure, Cecilie confiera : « How could I go home, what was I going home to? Rolf was my home and I had to leave him there. »
L’après K2
Après la mort de Rolf, Cecilie est demeurée en Norvège durant une année complète, pensant ses blessures et s’efforçant de redonner un sens à sa vie. Elle s’est réfugiée sur les plages de Stavenger (où elle et Rolf avaient établi domicile), d’abord seule, puis en compagnie d’amis, de membres de sa famille et des parents de Rolf. « It was easier to breathe on the beach. I had the horizon, the air, the sky. Slowly I regained strength and developed new dreams. Rolf taught me that dreams are precious. » Elle trouva le courage de porter de nouveau ses rêves à bout de bras et demanda à deux copines si elles désiraient l’accompagner dans une traversée du Groenland (Cecilie avait traversé le Groenland une première fois en compagnie de Rolf, quelques années auparavant). Au grand plaisir de Cecilie, toutes deux acceptèrent. L’Américain Ryan Waters fut également de l’expédition.
De nombreuses autres expéditions se succédèrent par la suite : la traversée de l’Antarctique en 2009 (elle parcourut 1 800 kilomètres en 70 jours en compagnie de Ryan Waters); une seconde aventure au Pôle Nord à l’été 2011; puis, à l’automne 2011 et au printemps 2012, elle retourne dans l’Himalaya et grimpe Manaslu et le Lhotse, deux imposants sommets de plus de 8 000 mètres, en compagnie de Ryan Waters.
En 2012, Cecilie se joint au projet d’émission « Dream Tour » (Norvège), qu’elle coanime avec Aleksander Gamme, lui-même explorateur, auteur et guide. Les deux animateurs se lient d’amitié, puis tombent amoureux. Le 8 décembre 2014, Cecilie donne naissance à leur fille aînée, Vilja. Une seconde fille, Vega, voit le jour à la fin de l’été 2016.
Cecilie admet aujourd’hui ne plus ressentir le besoin de s’aventurer sur des chemins périlleux. Sa nouvelle passion? La voile! Elle apprend les rudiments de la navigation dans les eaux de Barcelone et éprouve une grande joie devant l’immensité de l’océan, qui lui procure le même sentiment de liberté que celui ressenti lors de ses innombrables expéditions en montagne.
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Durant l’été 2008, plus de 70 alpinistes de 15 groupes d’expédition différents se sont rassemblés au camp de base de K2. Parmi ceux-là, 11 périrent durant la fin de semaine du 1er août.
Selon les statistiques, un alpiniste sur quatre trouve la mort sur K2, principalement lors de la descente. Walter Bonatti, alpiniste italien s’étant joint à une expédition sur K2 en 1954, affirme : « Everybody thinks that coming down is the easy bit. It makes sense, but don’t believe it for one minute. »
Sont décédés sur K2 lors de ces événements tragiques : Dren Mandić, Jehan Baig, Rolf Bae, Hugues D’Aubarede, Karim Meherban, Ger McDonnell, Kyeong-Hyo Park, Hyo-Gyeong Kim, Dong-Jin Hwang, Jumik Bhote et Pasang Bhote.