« N’oublie pas que c’est l’ignorance qui triomphe toujours, Brodeck, pas le savoir. » Philippe Claudel
Comme tout fait divers sanglant voyage aujourd’hui à la vitesse de l’éclair, j’ai été vite informée des violences perpétrées contre la communauté musulmane de Sainte-Foy. Amis et connaissances m’ont demandé avec horreur : « Have you heard what happened in Quebec?! », convaincus de l’influence néfaste de Trump sur la mentalité des gens. J’étais bien sûr au courant. Mais très peu encline à croire à une quelconque incitation à la haine. Pour une raison très simple : la haine, nous la nourrissons grassement depuis belle lurette au Québec, ma province natale pas toujours si accueillante.
La nouvelle, aussi révoltante et choquante soit-elle, ne m’a donc guère surprise.
Tranche de vie québécoise
J’ai grandi dans une banlieue montréalaise catholique radicalement blanche et aseptisée. Côtoyer des nationalités et des cultures différentes n’était pas du tout dans nos habitudes. Grand bien fasse à mon père, issu de Montréal-Nord, ou plutôt de « Montréal-Noir », tel qu’il avait l’habitude d’en parler, à cause de la prépondérance de la communauté haïtienne.
Même chanson dans le quartier Saint-François de Laval, où quelques membres de ma famille habitaient et où j’ai entendu, lors de soupers de Noël, des récriminations sans fin contre les « crisses de nègres » (qui, outre habiter dans le voisinage, n’avaient rien fait pour se mériter les foudres de mes oncles).
Sans mentionner mon expérience dans une entreprise Web de Laval, où mes collègues québécois n’adressaient que très peu la parole à mes collègues ontariens, albertains ou britanno-colombiens, avec pour seule excuse cette vieille rancune contre les méchants anglophones.
Et plus récemment sur Facebook et Twitter, toutes ces publications islamophobes, soi-disant humoristiques!
Alors, vous me demandez si je suis surprise qu’un jeune de 27 ans, issu de cette même ignorance, ait décidé de rétablir « l’ordre » au sein de sa belle province devenue un peu trop multiculturelle? Absolument pas. La colère réprimée des Québécois demandait à s’exprimer depuis longtemps. Non pas que le geste posé soit justifié, car rien n’excuse une telle sauvagerie. Mais nous le savons tous : une population mécontente est une bombe à retardement.
Une guerre de religion inavouée
Bien que les églises se soient vidées de leurs croyants dans les années 1960 et 1970 et que les Québécois se disent aujourd’hui majoritairement athées, il m’apparaît évident que le mépris envers les Musulmans soit en fait une guerre de religion fort inhabilement déguisée. Autrement, nous n’aurions rien à reprocher à cette religion « étrangère », qui perpétue des atrocités semblables au catholicisme depuis des millénaires.
En parcourant de nombreux articles rapportant la terrible nouvelle, je suis tombée sur une horreur bien plus grande encore, témoignant de notre profonde ignorance et de notre refus de nous regarder en face. Pour expliquer que la mosquée de Sainte-Foy fut à plus d’une reprise la cible d’actes haineux, on raconte :
Cette même mosquée est un foyer de radicalisme où on propose aux fidèles de lire les écrits d’idéologues qui prônent le djihad violent, la charia, l’infériorisation de la femme, l’homophobie virulente.
Ce à quoi je rétorque :
1) TOUTE RELIGION, y compris le catholicisme, est profondément homophobe et misogyne.
2) TOUTE RELIGION est aliénante et subversive.
3) S’en prendre à la religion musulmane revient clairement à nier 2000 ans de terreur, de répression, de crimes et de persécutions menés par les défenseurs du catholicisme. (Lorsque je lis un grand titre du genre « Le pape dénonce les persécutions menées par l’État islamique », j’y vois une hypocrisie et une ironie combien saisissantes!)
Conclusion
Les victimes de l’attentat de Québec étaient informaticiens, professeur d’université, comptable, pharmacien, boucher. Et nous ignorons tant de choses à leur sujet, comme mon père et mes oncles ignoraient tout de leurs voisins haïtiens. Je n’essaie pas de vous faire verser une larme, mais plutôt de vous sensibiliser au fait que si certains Musulmans traitent les femmes comme des bêtes, des Québécois aussi le font. Si des Musulmans condamnent l’homosexualité, des Québécois aussi le font. Je nous trouve bien fourbes de prétendre être plus évolués, alors que nous savons aussi nous montrer inférieurs.
Aux yeux des Québécois, ces hommes n’étaient coupables que d’une seule chose : croire à un dieu plutôt qu’à un autre.